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Une vie pour le cinéma

2008-05-30 | |

Le texte qui suit a été écrit pour la production Malavida Films qui prépare un coffret DVD consacré à Wojciech Has. Refusant le montage image sous lequel son texte avait été couché, l'auteure a préféré se retirer du projet.

Une vie pour le cinéma

Le nom du cinéaste polonais Wojciech Jerzy Has est paradoxalement moins connu des cinéphiles que les titres de deux de ses films, Manuscrit trouvé à Saragosse) et La Clepsydre.

Ce cinéaste à part, qui ne parlait jamais directement de lui-même, n'a jamais eu de carte du Parti, contrairement à la plupart des cinéastes polonais de sa génération. En dépit des difficultés rencontrées, il réussit à construire une oeuvre cinématographique singulière, et cela sans concession d'aucune sorte, esthétique ou politique, payant son indépendance de longues années sans pouvoir tourner. Mais, se faisant une règle de ne jamais s'exprimer publiquement sur les événements politiques de son pays, il a toujours refusé d'être considéré comme un artiste "maudit".

Biographie

Il naît, le 1er avril 1925, et grandit à Cracovie, et cette ville marquera profondément toute sa création. Ses études sont interrompues au début de la guerre, les Allemands ayant fermé lycées et universités. Le jeune "Wojtek" a quatorze ans. Il doit travailler et devient mineur de fond. Il arrive cependant à se faire admettre dans une école technique où les professeurs dispensent un enseignement artistique clandestin.

Dès la fin de la guerre, l'Académie des Beaux-Arts de Cracovie rouvre ses portes, et Has, qui veut devenir peintre, s'y inscrit. Il s'inscrit en même temps à l'Atelier Cinématographique des Jeunes, la première école de cinéma polonaise, qui vient d'être créé à Cracovie. Il obtient son diplôme de cinéma en 1946 et, deux années plus tard, celui de l'Académie des Beaux-Arts. Alors que ses professeurs lui proposent de poursuivre ses études de peinture à Paris, il décide de rester en Pologne. Entre peinture et cinéma, son choix est fait, il sera cinéaste.

Il lui faudra beaucoup de patience et d'obstination pour y parvenir. Ni son premier film d'auteur, le moyen-métrage Harmonia, réalisé en 1948, ni le documentaire La Rue Brzozowa, qu'il réalise avec Różewicz un an plus tard, ne sont distribués. Has travaille alors au Studio du Film Documentaire de Varsovie. Mais pas pour longtemps : la réalisation de Ma ville (1950), court-métrage personnel et intimiste sur Cracovie, lui vaut d'être relégué au Studio du Film Éducatif de Lodz. Ce n'est qu'après la libéralisation du milieu des années cinquante et la réorganisation de la cinématographie polonaise qu'il peut enfin rejoindre le cinéma de fiction.

La réalisation en 1957 du Noeud coulant marque le début d'une période de travail intense : jusqu'en 1962, Has peut réaliser un film par an. L'accueil réservé à son premier long-métrage lors de sa sortie donne une idée assez juste de la place qui sera la sienne tout au long de sa carrière. Ce film provocateur, qui n'obtient pas le visa pour l'étranger, sa noirceur risquant de ternir l'image d'un pays socialiste, est très durement attaqué par une grande partie de la critique polonaise. Mais, dans le même temps, tous s'accordent à reconnaître que Has est un cinéaste avec qui il faut dorénavant compter.

Après le succès international de l'Art d'être aimée (1962), Has entreprend, sur la suggestion de Tadeusz Kwiatkowski, l'adaptation du roman de Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse. Le film, terminé en décembre 1964, ne sort que plusieurs semaines après les fêtes de fin d'année. Et le rythme de tournage du cinéaste ralentit, jusqu'à l'arrêt total qui suit La Clepsydre (1973), alors même que ce film obtient le prix du jury au festival de Cannes.

Has gagne dorénavant sa vie en enseignant à l'Ecole de cinéma de Lodz. En 1981, pendant le bref "printemps de Solidarnosc", a lieu la première élection par les représentants de la profession des directeurs des "Zespoly" (Ensembles de production), jusque-là nommés par le pouvoir. Has, qui devient pour la première fois directeur artistique d'un "Zespol", peut recommencer à tourner.

Mais les conditions économiques rendent plus difficile la production de films exigeants, et la situation empire à partir de 1990. Pendant des années, Has attend de pouvoir tourner L'Âne qui joue de la lyre. Cédant à la demande unanime des enseignants, il assume la charge de recteur de l'école de cinéma de Lodz de 1990 à 1996.

Il meurt le 3 octobre 2000, sans avoir pu réaliser son quinzième long-métrage.

Le tournage de Manuscrit

L'adaptation du roman Manuscrit trouvé à Saragosse est un pari audacieux pour un cinéaste qui n'a pas quarante ans. Has passe deux années à écrire le scénario et le découpage. Suivant la méthode de ce cinéaste perfectionniste, chaque plan est décrit avec précision, et le découpage du film emplit deux épais volumes.

Le tournage se passe entre les studios de Wroclaw et une région montagneuse proche de Cracovie pour les extérieurs. Parmi les 187 comédiens engagés, beaucoup jouent le soir dans différents théâtres, ce qui demande une organisation de fer. Toutefois le tournage ne dure que 97 jours au lieu des 112 initialement prévus.

Les plus grands comédiens polonais de l'époque jouent dans le film, mais on y trouve aussi des débutants, par exemple pour les rôles d'Emina et de Zibeddé. Il faut signaler le cas de Zbigniew Cybulski. Il n'était pas prévu au départ. Chaudement recommandé, un soi-disant comédien français qui prétendait avoir joué avec Vilar a été engagé pour le rôle principal. Mais Cybulski, qui a perçu l'inquiétude de son ami Has, s'arrange pour être près du plateau le premier jour de tournage. Comme le cinéaste le craignait, le comédien retenu se révèle exécrable. Durant la nuit, un nouveau costume est confectionné et, le lendemain, Cybulski reprend le rôle d'Alphonse au pied levé.

C'est pour le célèbre acteur un rôle à contre-emploi qui consiste principalement à écouter les histoires qu'on lui raconte. Il le fait avec un mélange de naïveté et d'ironie rêveuse, si bien que le personnage d'Alphonse tient à la fois de don Quichotte et du Sigismond de La Vie est un songe.

Les thèmes hassiens

Avec ses six premiers longs-métrages, Has a expérimenté différents registres, de la provocation sombre du Noeud coulant à la tonalité douce-amère des Adieux, de l'absurde tragique de Chambre Commune à la comédie sentimentale d'Adieu Jeunesse, de la quête du jeune héros de L'Or de mes rêves au retour sur un passé douloureux dans L'Art d'être aimée.

Les personnages principaux de ces films intimistes ont tous un air de famille. Ce sont des anti-héros, des perdants, qui manquent de volonté, se laissent conduire par les événements, et les obstacles qu'ils rencontrent sont souvent plus forts qu'eux.

On retrouve d'un film à l'autre des variations sur les thèmes de la solitude, du passé, des relations fils-père et de la transmission, de la difficulté de vivre d'une façon juste. Et la mort est toujours présente. Ces thèmes font partie des constantes du cinéaste, ils traversent Manuscrit trouvé à Saragosse comme tous ses films postérieurs.

On peut cependant noter l'apparition dans ce septième long-métrage d'un nouveau thème, le Double, avec le questionnement sur la réalité de la réalité qui l'accompagne. Il hantera à des degrés divers tous les films à partir de Manuscrit trouvé à Saragosse avec cette perméabilité de la frontière entre réalité, rêve et imaginaire qui caractérisera dorénavant l'oeuvre du cinéaste.

Ces films rares, difficiles, demandent un effort au spectateur parce qu'ils tournent le dos au réalisme et s'éloignent de la contemporanéité, bien que chacun soit secrètement relié à la situation politique de la Pologne au moment où il a été réalisé. Mais ce sont des films qui ne vieillissent pas, et que l'on peut voir et revoir sans en épuiser ni le sens, ni la magie. Leur valeur est universelle et, comme le déclare Velasquez dans le film Manuscrit trouvé à Saragosse, leur poésie "se révèle être plus proche de la vie qu'on ne l'aurait supposé".

Un film mutilé

Comme le manuscrit du roman qu'il adapte, le film de Has a failli disparaître. La version initiale, prévue pour être projetée en deux parties séparées par un entracte, dure 178 minutes. C'est cette version qui est projetée en Pologne lors de la sortie du film. Elle est également projetée le 23 mai 1965 à Cannes, en marge du festival, le film n'ayant pas eu l'honneur d'être retenu pour représenter la Pologne.

C'est à ce moment-là qu'un distributeur français qui se dit intéressé par le film demande qu'il soit raccourci. Has se met aussitôt au travail et monte une version de 124 minutes. C'est cette version courte qui est envoyée dans les festivals internationaux et distribuée hors de Pologne.

Le film sort en salle à Paris en 1966. Malgré le peu d'enthousiasme de la critique bien-pensante, le bouche-à-oreille fonctionne si bien que les séances sont prolongées. Il n'y a qu'en France que le film obtient cette adhésion du public ordinaire du cinéma et la version courte, qui ne reste jamais très longtemps absente des écrans français, est diffusée en 1977 à la télévision.

C'est vers 1990 qu'a commencé à être distribuée hors de Pologne une version de 150 minutes, fallacieusement appelée "version intégrale". Malgré mes avertissements réitérés, le cinéaste ne prend conscience de la réalité du problème qu'en août 1995, lorsque Edith Kramer, directrice de la Pacific Film Archive de Berkeley, proteste parce qu'on lui a envoyé une version plus courte que la version intégrale commandée.

L'enquête menée alors par l'entourage du cinéaste conduit à découvrir qu'il y a eu, en 1984, un ordre du Ministère de la Culture demandant "une deuxième version courte" du film, et que celle-ci a été faite sur le négatif original du film. Par chance, une "lavande" – contretype peu contrasté du négatif –, dont les mutilateurs ignoraient l'existence, est retrouvée. Il permettra la restauration du film.

Une analyse des parties absentes de la prétendue version intégrale montre que les raccords ont été laborieusement travaillés à la manière de Has, afin que les coupes passent inaperçues. Elle prouve également la double origine, politique et religieuse, de la censure, ce qui pose question quand on sait quel était le contexte politique dans la Pologne de 1984

Anne Guérin-Castell
2004-09-15
2005-08-30